Récit de Vasily R7AL
Il y a un an, personne ne pouvait imaginer quelle menace l’humanité allait devoir affronter et à quel point notre vie quotidienne allait changer. Au cours des premières semaines de la pandémie mondiale, le monde était littéralement plongé dans la panique et le chaos. Tout ressemblait alors à des images tirées d’un film fantastique : des gens en uniforme, des barrages routiers, des appels par haut-parleur à rester chez soi…
Toutes les expéditions DX précédemment annoncées pour le restant de l’année 2020 ont été annulées pour diverses raisons : aéroports et frontières fermés, suspension de délivrance de visa, risques de contamination. Nous pensions tous que ce cauchemar ne durerait pas longtemps mais, au fil du temps, la situation n’a fait qu’empirer. Nous avons commencé à songer à l’organisation d’une expédition de grande envergure vers un lieu DX intéressant, afin de raviver l’humeur de toute la communauté radioamateur, soutenir ceux qui sont confinés et simplement montrer que la vie continue!
Vasily RA1ZZ (mon coéquipier et co-leader de l’expédition) et moi-même avons décidé de nous rendre dans l’un des endroits que nous avions déjà planifiés auparavant (avant la pandémie): la République du MALAWI.
Junior 7Q7JN, seul radioamateur résidant au Malawi, a gentiment accepté de nous aider à obtenir la licence. De plus, il nous a invités à mener l’expédition depuis son QTH, où il dispose d’une salle radio avec un ensemble d’équipements et d’antennes. Ce fut vraiment une excellente option et nous avons accepté l’invitation avec plaisir. Il nous a également dit que Don K6ZO, précédemment actif avec l’indicatif 7Q6M à plusieurs reprises au cours des dernières années, prévoit également d’arriver des États-Unis deux semaines avant nous. J’ai contacté Don et il a partagé avec moi des informations utiles à l’organisation de notre futur voyage.
Nous avons formé l’équipe composée de cinq opérateurs : Vasily RA1ZZ, Vlad R9LR, Liliya EW7L, Al RZ3K et moi-même Vasily R7AL. Malheureusement, d’autres membres du RUDXT ont été contraints de renoncer à participer à l’expédition pour des raisons bien connues. D’un autre côté, cinq c’est mieux que rien…
L’autre bonne nouvelle est que nous activerions au delà des bandes HF pour la première fois et que nous exploiterons également la station satellite QO-100.
Tous les préparatifs se sont déroulés comme d’habitude : liste d’équipements, réservation des vols, site web et autres détails. Mais nous avons été confrontés à un gros problème : un visa d’entrée au Malawi. Le service des visas électroniques était temporairement indisponible. Junior a contacté le représentant du service de l’immigration à l’aéroport de Lilongwe et ils ont confirmé qu’ils nous délivreraient des visas à l’arrivée . C’était assez risqué, mais néanmoins nous avons quand même décidé de prendre l’avion.
Je ne vais pas vous ennuyer avec les détails de nos préparatifs et de nos déplacements avant notre départ de Moscou. Le vol était prévu le 5 novembre avec des correspondances à Istanbul et à Nairobi. Tout s’est bien passé lors de l’enregistrement pour les deux premiers vols mais « Kenyan Airways » refuse de nous enregistrer pour le vol vers le Malawi et exige que nous leur montrions nos visas. Aucun de nos arguments n’a fonctionné. Ils nous ont expliqué que les compagnies aériennes ont de nouvelles instructions strictes et ne peuvent embarquer uniquement les passagers présentant un visa. Nous avons donc été contraints de nous arrêter à Nairobi pour résoudre nos problèmes de visa.
Malheureusement, la visite à l’ambassade du Malawi ne fut pas couronnée de succès car elle fonctionnait en mode limité et a suspendu toutes les procédures de délivrance de visa. Junior n’est pas resté les bras croisés et a négocié avec le service de l’immigration de Lilongwe. Finalement, ils ont accepté nos demandes en ligne et ont promis de nous délivrer les visas dès que possible. Il ne nous restait plus qu’à patienter quelques jours.
C’était une excellente occasion de trafiquer depuis le Kenya. Nous avons contacté Ted 5Z4NU pour lui demander la permission d’utiliser l’indicatif du radio-club pour cette courte activité mais, malheureusement, nous avons essuyé un refus. Nous avons donc passé le temps à nous promener en ville et à visiter les musées. Finalement, après trois jours, nous avons reçu nos visas et embarqué sur le premier vol disponible pour le Malawi.
En raison de la pandémie, l’aéroport international de Lilongwe a renforcé les mesures de prévention sanitaire et il fallut un peu plus de temps que d’habitude pour sortir.
Bien sûr, nous avions tous les documents en règle, mais ils n’ont pas été utiles car il n’y a eu aucune difficulté lors du passage en douane.
En sortant de l’aéroport, nous avons été accueillis par Junior (7Q7JN), qui nous attendait dehors depuis longtemps. Après un accueil chaleureux et quelques photos , nous avons commencé à charger nos bagages dans le van.
Nous n’avions que deux valises par personne et divers bagages à main contenant notamment les émetteurs, les amplis et les ordinateurs portables. Il s’est avéré difficile de tout caser, cela ressemblait à un jeu de Tetris. Après voir chargé le véhicule, nous avons quitté l’aéroport et nous sommes partis vers le nord.
Le village d’Embangweni est situé à environ 250 km de Lilongwe, dans la province du Nord. Le trajet dura environ quatre heures. Malgré le long et épuisant vol de nuit, personne n’a dormi. C’était une excellente occasion de contempler le paysage exotique: de grands arbres tropicaux, des femmes avec de grands seaux sur la tête, etc. Je noterai le fait que les maisons de tous les villages environnants sont construites en briques, contrairement au Mozambique voisin avec ses huttes en terre et en bois avec des toits de chaume.
Nous sommes arrivés à Embangweni à la nuit tombée où nous nous sommes arrêtés pour dîner dans un petit café local. J’ai envie de dire que la nourriture pendant notre séjour au Malawi était toujours monotone et pas très savoureuse, mais nous ne sommes pas des voyageurs difficiles et ce n’était pas un voyage gastronomique. Nous étions très heureux que le gite dispose d’une salle à manger et d’un chef, ce qui nous a évité de perdre du temps faire les courses et préparer les repas.
Don nous a accueillis à notre arrivée. Le gite « Donald Fraser » a été construite principalement pour accueillir les américains qui viennent dans le village en tant que missionnaires ou bénévoles à l’hôpital. Tous les revenus de la location sont reversés à l’église locale.
Nous avons tous été placés dans des chambres séparées en raison des nouvelles réglementations liées au Covid, et une pièce supplémentaire a été louée pour le shack radio. Il était déjà minuit lorsque nous avons terminé l’enregistrement et Don nous a emmenés voir le local radio de l’hôpital.
Cette station a été créée en 2003 suite à l’idée de Bill Perkins KC4D (7Q7WW). Un peu plus tard, Joe Poole G3MRC (7Q7BP) a commencé à aider la station jusqu’à son décès en 2017. Après cela, la femme de Joe a fait don de tout son équipement à la station du dispensaire.
La station radio comprend les antennes pour toutes les bandes HF : Hexbeam montée sur un mât de 12 mètres, dipôle rotatif pour 7 Mhz, sloper pour 3,5 Mhz et antenne 1,8 Mhz en L inversé, fabriquée à partir d’un mat Spiderbeam de 26m en fibre de verre. Don nous a dit que le niveau de QRM est très élevé sur 80 et 160 mètres et qu’il n’a pu réaliser que quelques contacts sur ces bandes, alors que les autres bandes sont OK.
Notre premier QSO en tant que 7Q7RU a été réalisé le 10 novembre à 08:55 UTC sur 40/CW avec la station japonaise 7M4AOE. Chaque membre de l’expédition se souvient de ce sentiment d’excitation et de joie, quand après des mois de préparations et beaucoup de difficultés, nous fûmes enfin sur l’air.
Nous nous sommes réveillés avec les premiers rayons du soleil et avons immédiatement commencé à installer nos antennes. Le but était de faire fonctionner plusieurs stations simultanément sans interférences. En regardant autour de nous, nous avons réalisé que la zone environnante n’était pas bonne pour les antennes en raison des nombreux arbres, mais plus appropriée pour les antennes filaires comme la station de l’hôpital. Tout d’abord, nous avons installé deux antennes verticales multibandes, qui devaient être utilisées principalement pour les stations FT8, puis deux verticales en phase pour les bandes 30 et 40 mètres, ainsi qu’une verticale bande basse DL2KQ sur un mat en fibre de verre de 18 mètres. Les habitants nous ont observés avec beaucoup d’intérêt et ont souvent proposé leur aide.
Mais la tâche principale n’a pas encore été résolue : une bonne réception sur les bandes basses. Comme il y avait beaucoup d’espace et d’arbres autour du gite, nous avons installé deux longs fils dans les directions Nord Est et Nord-Ouest. Mais la nuit suivante montra que les deux ne fonctionnent pas du tout, le niveau de bruit est exactement le même que sur l’antenne verticale. Grosse déception ! Ensuite, nous avons décidé d’essayer la réception à la station de l’hôpital. Malheureusement, même histoire… Nous n’avons pu réaliser que 14 contacts sur la bande et cela ne nous convenait pas du tout.
Les bandes de 40 à 15 mètres étaient vraiment étonnantes. Tous les membres de l’équipe ont vraiment apprécié les impressionnants et interminables pile-up. L’absence d’autre expédition à ce moment la, a contribué à l’intérêt accru pour notre activité 7Q7RU. Il est à noter que les bandes 20m, 17m et même 15 mètres étaient généralement ouverts vers l’Europe, SA et NA jusqu’à minuit voire même plus tard. Nous avons également ajouté une delta loop pour la bande des 40 mètres, tendue entre les arbres, pour la comparaison avec la verticale.
Très probablement en raison du fait que le sol était composé d’argile et de sable, la delta loop fonctionnait beaucoup mieux. C’est pourquoi nous avons installé une delta loop supplémentaire pour la bande des 30 mètres.
Nous recevions régulièrement les informations de nos pilotes et d’autres radioamateurs du monde entier et avons pu bénéficier de grandes ouvertures sur les bandes 12 et 10 mètres.
Junior a trouvé une antenne parabolique à louer et Vlad R9LR a installé la station QO-100 (Es’hailsat-2). J’ai aussi essayé de faire quelques contacts en CW. C’est assez intéressant mais il semble que peu de gens soient actifs dans ce genre de DX et nous réalisé moins de 700 contacts. Vlad a également mis en place une station pour les satellites LEO et a pu faire une douzaine de QSO.
La météo durant notre séjour à Embangweni fut clémente, avec quelques chaleurs au-dessus de 30°C vers midi et des soirées fraîches très agréables. La saison des pluies n’avait pas encore commencé, l’humidité était donc normale.
Dès que la nuit tombait, un grand nombre de créatures différentes apparaissaient attirées par la lumière. Toutes sortes d’araignées, de lézards, de scarabées et de chenilles, tout ce qui volait, rampait et sautait tentaient donc de s’introduire dans le shack. Il fallait donc veiller à ce que la fenêtre et la porte soient constamment fermées. Junior a également recommandé d’utiliser les lampes de poche pour se déplacer la nuit afin de ne pas marcher sur un serpent ou un scorpion.
Des coupures de courant étaient prévues à Embangweni le dimanche pendant toute la journée, ainsi que plusieurs coupures de courte durée les autres jours. Le dernier dimanche a été consacré au séjour à Lilongwe pour les dépistages covid avant le vol de retour.
Mais revenons à la bande 160 mètres… Il fallait essayer un autre QTH quelque part au nord du village. Junior, Vasily et moi-même sommes partis en reconnaissance et nous avons rapidement trouvé un bâtiment presque à l’extérieur du village, sans électricité à des centaines de mètres à la ronde. Junior nous expliqua que c’était un centre de prévention du SIDA mais qu’il n’était pas utilisé pour le moment. Nous avons eu la chance que Don devait se rendre à Lilongwe pour prendre l’avion pour les Comores (d’où il a été actif sous l’indicatif D60AB), il nous a aidé à acheter le groupe électrogène et à l’expédier à Embangweni.
Nous avons déplacé en ce nouveau lieu, l’antenne 160m L inversé sur le mat Spiderbeam de la station de l’hôpital, et fait 300m direction Nord-Ouest. Plus tard, nous avons ajouté une antenne de réception BOG vers l’Extrême-Orient, mais le résultat n’était pas satisfaisant.
Vasily RA1ZZ fut alors notre seul opérateur sur 160m pour toutes les nuits restantes depuis cette station délocalisée. Il a fait un excellent travail et finalement nous avons enregistré plus de 2000 QSOs sur 160 mètres, dont 400 avec l’Amérique du nord.
Les deux semaines sont passées très vite et il était déja temps de se préparer pour le voyage retour. Nous avons réalisé plus de 42000 contacts et je pense que c’est un bon résultat pour notre petite équipe. Oui, nous voulions tous rentrer à la maison, mais en même temps, c’était triste de quitter Embangweni, ce merveilleux pays avec de bonnes personnes et de sourires sincères.
J’aurais aimé terminer l’histoire de 7Q7RU sur cette une note positive, mais une terrible nouvelle nous attendait à Lilongwe: deux membres de l’équipe, Vlad R9LR et Al RZ3K, ont présenté des résultats positifs au test Covid et ne pouvaient donc pas prendre l’avion du retour. Comme ils se sentaient bien et ne présentaient aucun symptôme, ils n’ont pas été admis à l’hôpital, mais ont reçu l’ordre d’être confinés jusqu’à ce que le test soit refait. Ce fut un véritable défi de trouver un propriétaire qui accepterait de leur louer une chambre et de leur acheter de la nourriture et d’autres choses nécessaires.
Vlad et Al avaient conservé le matériel radio, ils ont donc installé de simples antennes filaires à leur nouveau QTH et ont continué à être actifs avec 7Q7RU. Le logement n’était pas adapté à de bonnes antennes et ils avaient un QRM constant, néanmoins ils trafiquaient sur presque toutes les bandes.
Vlad et Al n’ont eu aucun symptome mais malheureusement, les deux dépistages effectués une semaine puis deux semaines plus tard, furent encore positifs. Il est difficile d’imaginer l’état dans lequel ils se trouvaient moralement. La radio leur permis de se distraire et de garder le moral. Bien sûr, nous étions constamment en contact avec eux et les avons aidé de notre mieux.
Grâce à Dieu, le troisième test se révéla négatif et les deux opérateurs épuisés, après plus de trois semaines d’isolement, ont enfin pu prendre l’avion pour rejoindre leurs proches.
Malgré toutes ces difficultés, nous estimons que l’expédition 7Q7RU fut un succès et a atteint ses objectifs. Je profite de l’occasion pour exprimer notre gratitude et nos remerciements aux fondations, clubs et à tous les donateurs individuels pour leur aide précieuse
A bientôt sur les ondes !