Compte-rendu FT4JA

FT4JA – Juan de Nova 2016

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Du 29 avril au 10 mai 2016, notre équipe composé de F5UFX, F5CWU, F4BKV, F4FET, F1NGP, F2DX, F6BEE, F5PTM, F4HAU, EA3NT, s’est rendue sur l’île Juan de Nova située entre Madagascar et le Mozambique. Ile plate, de 4,4km2, celle-ci est entourée d’une barrière de corail qui abrite un vaste lagon. Elle tient son nom d’un navigateur Portugais Joao da Nova qui l’a découverte en 1501. En l’absence de présence étrangère, l’île est rattachée à l’empire colonial en 1896 et passe sous pavillon français l’année suivante. Depuis 2007, elle est rattachée comme les autres îles Éparses à l’administration des TAAF.

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Le bruit sourd de la chaîne remontant l’ancre de l’Antsiva met un terme aux derniers instants de calme qui précédent notre appareillage pour Mayotte. Depuis le retour des derniers opérateurs sur le pont, chacun s’évertue à profiter pour une dernière fois du spectacle. Depuis la poupe de notre voilier, la vue sur le lagon et le littoral de Juan de Nova est idyllique.

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Sur le rivage, un point bleu ciel immobile vient trancher avec le vert profond de la végétation luxuriante qui jouxte la plage. Le gendarme assiste à notre départ. Comme un seul homme, nous lui lançons un dernier salut. A bâbord, le phare de l’île semble lui aussi vouloir prendre part à ces adieux. Pour se détacher de la ceinture d’arbres qui l’entoure, il parait tendre le cou comme pour nous saluer une dernière fois et nous souhaiter bon vent.

Voilà qui met un terme à une belle tranche de vie ponctuée de défis techniques et physiques ainsi qu’une aventure humaine inoubliable propre à ce type d’expéditions. Nous mesurons la chance qui nous a été donnée de fouler à nouveau une des îles Eparses. Au regard de l’année de préparation nécessaire pour organiser cette mission et des sacrifices réalisés, ces deux semaines se sont écoulées trop rapidement. Le navire s’ébranle, cependant nous partons le coeur léger, convaincus d’avoir mis tout en oeuvre pour répondre aux attentes et satisfaire nos différents interlocuteurs.

 

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Retour sur 14 jours riches en évènements.

Partis deux jours plus tôt de Mayotte, point de départ de notre expédition, nous sommes arrivés en fin d’après-midi avec un peu d’avance sur les prévisions du capitaine à la faveur de courants marins favorables. De notre position, le rivage de Juan de Nova n’est qu’à un kilomètre environ. Le contraste est saisissant entre le sable blanc immaculé qui semble jaillir des eaux et les filaos qui forment une couche épaisse et sombre. Les derniers rayons de soleil de cette chaude journée donnent une teinte rouge feu au paysage avant que rapidement la pénombre ne s’installe. Prés de la pointe Ouest de l’île, la lanterne rouge du phare étincelle et vient signaler aux navigateurs de passage la présence d’une terre à mis chemin entre Madagascar et le Mozambique.

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Mardi 29 mars – Les premières lueurs du jour n’éclairent pas encore l’immense lagon de Juan de Nova. Dans les cabines de l’Antsiva, voilier d’expédition de 28m affrété pour cette mission, l’excitation est à son paroxysme. Le confort apporté par le mouillage ne nous a pas aidé à trouver le sommeil. Difficile de ne pas trépigner quand le cinquième pays le plus rare au DXCC n’est qu’à une portée de fusil. Malgré cette nuit agitée, aucun membre du groupe n’a eu besoin de réveil ce matin. Personne ne s’attarde dans sa couchette ni même au petit déjeuner. Éclairés par nos lampes frontales, nous rassemblons le matériel sur le pont. Près d’une tonne et demie ont été expédié de Métropole par cargo avant d’être dédouané, chargé puis réparti entre les différents points de stockage du bateau. Le skipper a quant a lui pris en charge l’approvisionnement en carburant (1000 litres) et en nourriture afin de nous avitailler pour la durée de la mission. Dans l’immédiat, il convient de regrouper le matériel pour l’envoyer dans un ordre précis sur l’île, d’autant plus que le nombre de rotations sera limité en raison de la marée. Grâce à une préparation méticuleuse, chaque élément a été numéroté et conditionné de façon à faciliter le transport et l’installation. Nous suivons le plan de débarquement établi. Les 10 membres de l’équipe s’affairent, aidés par l’équipage.

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Vers 6h00, l’annexe de l’Antsiva est mise à l’eau. Nous chargeons les deux tentes, des outils et les premières antennes. Trois opérateurs y prennent place également. A terre, nous sommes attendus par le gendarme, et plusieurs militaires dont le chef du détachement. Ils sont venus avec le tracteur et la remorque. Après avoir confié nos passeports et procédé aux formalités d’usage, nous prenons la direction du “site radio” convenu tandis que l’annexe s’en retourne au bateau. Nous traversons le camp SEGA (camp militaire), longeons une partie de la piste d’atterrissage avant de nous enfoncer dans la forêt. A bord de la remorque, assis entre les gros sacs contenant nos tentes et quelques packs d’eau, l’émotion est à son comble. Nous découvrons les lieux que nous avons mille fois vu sur des vidéos ou des photos pendant ces longs mois de préparation. Le rêve devient réalité !

 

Subitement, le convoi s’arrête ! Tout le monde s’éloigne de la cabine du tracteur, où une araignée de la taille d’une main adulte s’est aventurée. Avec d’infimes précautions, celle-ci est évacuée dans les herbes hautes qui bordent le chemin. Nous reprenons notre route en suivant les sentiers qui sillonnent l’île jusqu’à atteindre la zone prévue pour notre installation.
Le terrain est loin d’être comme nous l’imaginions et comme le laissaient penser les images satellites avec lesquelles nous avons travaillé. Certes, nous ne nous attendions pas à trouver un terrain de golf fraîchement tondu, mais la configuration des lieux nous laisse coi. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il est difficilement envisageable d’installer le camp au milieu de ces herbes hautes, sans parler de l’acheminement du matériel. De plus, il nous parait compliqué de faire traverser cette zone aux membres de l’équipe de jour comme de nuit. Il va falloir adapter le plan sans toutefois s’écarter de trop de ce qui était prévu sur notre autorisation. Pour ce faire, le gendarme nous suggère de faire le tour à pied de la zone avant de se retrouver pour faire un point. Rapidement, nous étudions les adaptations possibles,  tout en prenant en compte les impératifs de protection de l’environnement, de sécurité pour l’équipe et le matériel ainsi que la facilité d’accès. Un emplacement suffisamment en retrait de la plage, dépourvu de veloutiers est trouvé et répond à tous les critères, qu’ils soient radioélectriques ou environnementaux. Après concertation avec le gendarme, nous recevons l’aval de la préfecture des TAAF.

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Pendant ce temps, les allers retours entre le bateau et l’île se sont enchaînés. Une importante partie du matériel a été débarquée sur deux sites distants de 500m afin d’assurer le plus de rotations possible avant la marée basse. Nous rapatrions l’ensemble du matériel à proximité du camp et entamons par le montage des deux tentes. Les conditions sont infernales ! Pas un nuage dans le ciel ne vient masquer le soleil. Par 40 degrés, à découvert sur du sable blanc, nous cuisons et l’absence de vent rend les conditions difficilement supportables. Privilégiant la sécurité des 10 opérateurs, nous effectuons des pauses régulières pour nous hydrater.

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Nous ne ménageons pas nos efforts. Lorsque le soleil commence à plonger sous l’horizon, une bonne partie du camp est en place. S’ensuit une course contre la montre pour achever certaines tâches avant la nuit. Mais, c’était sans compter sur les hordes de moustiques voraces qui nous attaquent malgré nos habits imprégnés de répulsif.
Après deux jours de navigation, une journée de manutention et de montage sous un soleil de plomb, nous sommes tous exténués. Nous rejoignons le bâtiment TAAF où un repas préparé par deux membres de l’équipe nous attend. Personne ne s’attarde à table et tour à tour chacun rejoint son lit de camp pour savourer quelques heures de repos bien mérités.

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5h, le jour n’est pas encore levé. Les traits encore tirés par les efforts de la veille, nous prenons quelques forces autour d’une tasse de café salvatrice avant de repartir au front. La chaleur est déjà palpable, bientôt elle sera insoutenable. Plusieurs binômes se forment et s’affairent pour finaliser les différents chantiers de la veille.
1500m de câbles coaxiaux et près de 2500m de radians sont déroulés. L’installation électrique est mise en place et raccordée aux trois groupes électrogènes qui ont pris place au centre d’un large bac de rétention tapissé de bâches. Nous devons nous assurer qu’aucun fluide ne viendra souiller le sol, condition sine qua non pour utiliser de tels équipements au coeur d’un milieu sensible. Les trois engins démarrent sans le moindre problème. Le rodage et la première vidange ont été effectués en métropole. C’est parti pour deux semaines de fonctionnement sans interruption, pas même pour effectuer le remplissage des réservoirs.
Malgré l’ampleur de la tâche et dans des conditions plus que délicates, la motivation et la rigueur des 10 opérateurs n’ont jamais faillis. La composition de l’équipe est un point crucial, la pierre angulaire de toutes ces aventures. Outre les qualités d’opérateurs, nous avons mis un point d’orgue à former un groupe soudé, polyvalent, avec des qualités humaines fortes. En complément des membres déjà présents à Tromelin, nous avons sollicité plusieurs autres camarades de confiance répondant à ces critères.

La pause du midi est l’occasion de rassembler l’équipe au complet une dernière fois avant le début de l’opération pour effectuer un rappel des consignes. Le monde entier nous attend ! Nous effectuons le premier contact sur 15m à 12h37z avec notre chef pilote, Cédric F5UKW qui nous transmet les dernières informations. Sans perdre de temps, nous débutons simultanément le trafic avec plusieurs stations. Comme nous pouvions nous y attendre, nos correspondants sont au rendez-vous, certains attendent ce moment depuis plusieurs décennies! Les contacts s’enchaînent à un rythme soutenu. Au fil de l’après-midi, nous exploitons les sept postes de trafic prévus. Les opérateurs qui ne sont pas occupés à la radio rangent le matériel à l’extérieur  ou peaufinent certains réglages.

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Dès les prémices, nous suivons le plan de trafic établi en fonction de la propagation vers les différents continents et respectons le plan de bande coordonné avec l’équipe VK0EK qui se trouve sur Heard, fruits d’un long travail de préparation en amont. Nous disposons sur chaque table d’un tableau simple et compréhensible d’un coup d’oeil. Le trafic est orienté vers tel ou tel continent, du lever au coucher du soleil en fonction de l’heure. Une attention particulière est portée aux zones les plus difficiles à contacter: États-Unis, Océanie, Japon. L’Europe est facile à contacter. Les signaux sont robustes tout au long de la journée, raison de plus pour ménager certains créneaux afin de donner une chance à tous quelque soit leur emplacement. Face à cette organisation dictée par une stratégie annoncée de longue date, la communauté radioamateurs collabore sans rechigner.

Après le rush des premières heures et l’arrivée de la nuit, le groupe se scinde naturellement en deux équipes de manière à pouvoir se relayer. Le bilan des premières 24h de trafic est encourageant avec près de 10 000 contacts, cadence que nous rêvons de maintenir tout long du séjour.
Les conditions de propagation sont meilleures que prévues, permettant à nos correspondants de nous contacter sur les bandes hautes. A contrario, la bande 6m est décevante bien que de timides ouvertures laissent quand même espérer des jours meilleurs. La balise est en route. Plusieurs rendez-vous sont planifiés tout au long de notre séjour afin de tenter de réaliser des liaisons radio via la Lune sur 50 MHz.

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Chaque poste de trafic est doté d’un Elecraft K3, d’un amplificateur SPE Expert 1.3 KFA et d’une interface Microham Microkeyer II. En complément, d’autres accessoires sont employés selon les bandes utilisées (filtres, splitters, limiteurs DX Engineering, préamplificateur KD9SV). Les sept stations sont reliées en réseau. Concernant les antennes, nous avons à nouveau fait le choix d’utiliser des antennes VDA 2 éléments sur les bandes de 10 à 20m. Outre leur faible encombrement, leurs performances sont incontestables, notamment à proximité de l’océan. Sur les autres bandes, nous exploitons un 4-square sur 40 et 30m et des verticales sur 80m et 160m (mats Spiderbeam). Une antenne yagi multibandes vient en appui, notamment pour effectuer du trafic in-band. Cette configuration nous permet d’avoir à certaines heures deux stations sur la même bande. Le 6m est dotée d’une 6 éléments DXBeam. Ces aériens sont raccordés avec du câble coaxial faibles pertes extrêmement léger et fabriqué par notre partenaire italien, Messi (Airborne 10). Afin d’améliorer notre réception sur les bandes 160 et 80m, deux beverages de 200m environ et des antennes drapeaux sont mises en oeuvre. Des boîtiers prêtés par DX Engineering et KD9SV nous permettent de nous adapter à la configuration du terrain.

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Sur l’île, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas pour autant. Bien que la première semaine écoulée nous ait donné entière satisfaction et que le rythme des 10000 liaisons/jour ait été maintenu, nous savons que la fatigue aidant, ce second volet risque d’être plus délicat à négocier. Les périodes de repos sont difficiles à ménager. Faire une sieste en journée est compliqué en raison de la chaleur alors que les nuits sont souvent écourtées afin d’être de retour à son poste pour le “lever de soleil”, moment propice aux contacts sur les bandes basses. En plus du trafic, de nombreuses tâches annexes nous incombent réduisant d’autant les moments de récupération (maintenance, nettoyage du site, préparation des repas, écriture des communiqués, rédaction des articles pour les écoles, vidéos reportages). Chacun s’investit pleinement et prend part au succès de la mission, sans ménager sa peine. La cohésion infaillible du groupe a raison de cette difficile équation.
Nous échangeons des messages avec nos stations pilotes au moyen de notre valise satellite. Les informations reçues nous permettent d’orienter le trafic au grès de l’évolution des conditions et des demandes formulées, tout en restant cohérent vis à vis de la stratégie annoncée. Une fois par jour, le log est transmis afin de le mettre à disposition de tous sur le site internet de Clublog. Bien que cela ait un coût non négligeable sur notre consommation “DATA”, la mise à disposition du log en ligne est rentrée dans les moeurs, et parait incontournable pour ce type d’expédition.

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Au fil des jours, des automatismes se mettent en place et nous prenons nos habitudes. Quotidiennement nous recevons la visite du gendarme qui vient s’enquérir de notre avancée et des éventuels problèmes rencontrés. Sa bonne humeur et les encouragements qu’il nous confère sont très appréciés de tous. Son aide fut notable sur de nombreux sujets tout au long du séjour, mobilisant si besoin les militaires pour certaines tâches telles que l’approvisionnement en eau ou la récupération de nos déchets alimentaires. Intrigué par notre capacité à communiqué avec le monde entier avec de simples bouts de fils, nous lui effectuons quelques démonstrations ainsi qu’aux militaires qui parfois l’accompagnent. Ces rencontres sont l’occasion d’échanger sur de nombreux sujets. Un matin, nous prenons part au tour de reconnaissance qu’il effectue à pied chaque jour sur tout le littoral de l’île. Cette ronde est vouée à déceler toute pollution, trace d’intrusion ou faits marquants qui immédiatement seraient signalées au Préfet. En parallèle, un comptage des traces de tortues est effectué.

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Nos stations radio sont situées à environ un kilomètre et demi du camp de vie. Pour aller de l’un à l’autre, nous empruntons de jour comme de nuit un sentier qui passe devant l’un des deux cimetières de l’île puis au pied du phare. Le chemin débouche ensuite sur la plage près de l’épave du Kwang Myong, un navire Coréen de 45m échoué depuis les années 70. Sa coque, posé sur le sable est battue par les flots à marée haute tandis que la foret de filaos semble en avaler la proue. Les 500 derniers mètres se font à même la plage où par moment il nous faut enjamber des arbres morts couchés sur la plage.
Pour la durée de cette mission, nous avons l’autorisation d’utiliser le bâtiment des TAAF placé en bout de piste. Celui-ci a abrité par le passé la station météo (La Goulette) et la gendarmerie, transférée depuis au camp SEGA. Des sanitaires et deux douches alimentés par une petite citerne placée sur le toit nous ont apportent un peu de confort alors que nos lits de camp sont repartis dans les pièces attenantes du bâtiment destiné à héberger des scientifiques pendant leurs missions. L’eau de pluie est collectée et stockée dans des cuves. Dans un souci d’économiser cette précieuse ressource, nous faisons en sorte de récupérer l’eau des douches pour l’utiliser dans les toilettes ou pour la lessive.

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La nuit dernière, les opérateurs sur les bandes basses ont enchaîné les contacts dans des conditions parfois épiques, perturbés par les orages qui chaque soir éclatent au dessus de l’océan. Les bandes hautes, plus calmes depuis quelques nuits ont de nouveau pu être exploitées quasiment jusqu’au petit matin. Les stations de la côte Ouest des USA ont des signaux incroyables sur 20 et 17m.
Malgré l’adrénaline apportée par des pile-up monstrueux, la fatigue n’est jamais bien loin et finie toujours par nous saisir malgré les pauses “café” régulières qui ne font que retarder l’échéance. En dernier recourt, nous nous allongeons une vingtaine de minutes à même le sol avant de reprendre le trafic. Il faut tenir coûte que coûte! Nous ne boudons pas notre plaisir en voyant la relève arriver aux premières lueurs du jour. Les consignes sont transmises et sans se faire prier, nous cédons nos places afin de rentrer au camp de vie nous reposer.

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Après avoir effectué le plein des trois groupes électrogènes et vérifié le stock de carburant, nous tournons les talons. La marée est basse, l’eau s’est retirée jusqu’à la barrière de corail située à plus d’un kilomètre, laissant apparaître une immense étendue de sable. D’énormes nuages chargent le ciel. A l’ouest, un double arc-en-ciel s’est formé et se laisse capturer par nos objectifs. Quelle aubaine, d’autant plus que la lumière est magnifique. A peine avons nous rallié le bâtiment TAAF qu’un énorme grain s’abat sur l’île, déversant des milliers de litres d’eau, mêlés à des rafales de vent violentes. Les toits en tôle déversent des torrents d’eau. Réunis sous le préau pour prendre le petit-déjeuner, nous ne cachons pas notre inquiétude face à ces rafales de vents et ses trombes d’eau. Qu’en est-il du camp radio sous ce déluge ? Les tentes résistent elles ? Quid des groupes ? Nous imaginons le pire ! Et si cet épisode sonnait le glas de cette expédition? Dès l’accalmie, et malgré la fatigue d’une nuit de trafic, nous courrons jusqu’au camp radio. Ce kilomètre et demi en parait dix tant l’idée de retrouver un champ de bataille nous angoisse. Pourtant, à mis parcours, nous percevons le ronronnement d’un groupe électrogène, puis apercevons au loin la silhouette de quelques antennes toujours debout. A notre arrivée, nous découvrons l’équipe en plein trafic après avoir géré la crise d’une main de maître. Nous ne déplorons aucun dégât. Rassurés et heureux d’avoir échappé belle à un incident qui aurait pu avoir raison de lourdes conséquences, nous rentrons pour prendre quelques heures de repos, profitant de la fraîcheur apportée par la pluie qui continue de tomber, rechargeant au passage les réserves d’eau douce de l’île.

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La fin du séjour approche et nous pensons être en mesure de franchir la barre des 100000 contacts. Ce point de mire nous surmotive. Autant de fois qu’il est possible, nous utilisons les sept stations simultanément. Les indicatifs défilent alors à une vitesse vertigineuse. Nous conservons une station en permanence sur la bande 15m afin d’augmenter le nombres de radioamateurs différents contactés, c’est autant de personnes qui auront eu la chance de réaliser une liaison avec Juan de Nova. Les tentatives de liaisons Terre-Lune-Terre n’ont pas aboutie à un contact. Pourtant, et c’est d’autant plus rageant, nos signaux ont été entendus et nous avons reçu plusieurs correspondants, sans jamais avoir le temps nécessaire de boucler le contact. La densité des filaos et l’obstacle formé par le phare placé exactement dans l’azimut de la Lune n’ont certainement pas joué en notre faveur. Qu’a cela ne tienne, le défi, aussi audacieux soit-il méritait d’être relevé !
A part quelques petites bricoles, nous n’avons eu aucun problème avec le matériel. L’équipement mis en oeuvre affiche une fiabilité incroyable malgré des conditions d’exploitation difficiles (chaleur, air marin, fonctionnement 24/24).

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A trois jours de la fin de notre mission, il nous faut parachever les reportages et interviews qui agrémenteront la vidéo de l’expédition. Pour ce faire, nous quittons le camp de vie à l’aube afin de profiter de la lumière exceptionnelle du petit matin. En bout de piste, plusieurs cabanons abritent les appareils de relevé météorologique dont les données sont transmises automatiquement. La première station permanente remonte à 1973, prenant le relais d’une installation auxiliaire âgée de 20 ans dénommée “La Goulette” en référence au Capitaine Marcel Goulette qui fut contraint de se poser à Juan de Nova avec son Farman 190 en 1929. Il en repart deux mois plus tard, après avoir fait aménager une piste sommaire. De nos jours, avec ses 1200m, elle est le train d’union indispensable avec l’extérieur et permet aux avions militaires d’effectuer la relève du personnel tous les 45 jours environ. Nous longeons la piste bordée de hauts filaos qui est sans aucun doute l’essence d’arbres la plus représentée sur l’île. La flore est relativement pauvre. Quelques cocotiers, vestiges d’une ancienne exploitation de coprah se dressent près de la pointe ouest. En haut de plage, nous notons la présence de quelques veloutiers. Le coeur de l’île est une alternance de vastes clairières recouvertes d’herbes hautes et de parties plus boisées.

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A mi- piste, nous tournons et nous engageons dans la forêt. Nous ouvrons l’oeil. Ces sous-bois sont un terrain apprécié des grandes araignées néphiles qui tissent de vastes toiles inclinées en attendant leurs proies. Le chemin serpente jusqu’à une clairière où se dresse une grande bâtisse. Bien qu’en ruine, la maison Patureau parait massive avec ses deux niveaux, juchée sur un vaste socle de béton. Ses escaliers imposants et ses ferronneries lui donnent un air de maison bourgeoise.
En 1952 Hector Patureau obtient de l’état français une concession pour extraire du guano à Juan de Nova. Riche en phosphate, il est utilisé comme engrais. L’exploitation prospère et emploie de nombreux ouvriers. Dans le même temps, une infrastructure importante sort de terre pour accompagner cet essor. Alors que les cours du phosphate s’effondre, celle-ci périclite puis vient à fermer à la fin des années 60. Les derniers ouvriers quittent l’île en 1975. Aujourd’hui, ne subsistent que quelques vestiges de cette courte aventure industrielle que progressivement la végétation engloutie, gommant du paysage un pan de l’activité humaine à Juan de Nova.

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Le sentier qui part vers l’Est nous mène au camp SEGA qui abrite le détachement militaire, installé en partie dans les installations qui hébergeaient jadis les ouvriers. Nous prenons la direction de la plage et passons devant la déchèterie de l’île où sont soigneusement triés tous les déchets collectés, y compris ceux ramassés sur la plage. Régulièrement, ces matériaux sont évacués de l’île puis recyclés. Au sol, des tronçons de rails qui servaient à acheminer les wagonnets Decauville chargés de phosphate sont toujours visibles. Nous les suivons et débouchons au pied de l’ancien ponton de chargement en partie éboulé qui s’avance dans le lagon. En d’autres temps, le minerai était chargé sur des bateaux qui prenaient la direction de l’Europe.
L’heure a défilé. Il est temps de retourner au camp radio pour relever nos camarades qui ont assuré la vacation radio du matin. Nous longeons la plage, escortés par plusieurs corbeaux-pies qui nous suivent en silence, eux qui habituellement jacassent bruyamment. De manière générale, nous avons été surpris par le calme de l’île. Les sternes que nous avions eu la chance de côtoyer tout au long de notre séjour à Tromelin avaient déjà quitté l’île après la période de nidification (2 millions de couples de sternes fuligineuses). Seuls quelques petits foodies ont été aperçu pendant notre séjour, perchés en hauteur pour se prémunir peut-être des attaques de chats sauvages. Ces derniers ont été introduits pour lutter contre la prolifération de rats mais c’est principalement dans la population de sternes qu’ils font des ravages. Une campagne d’éradication est en cours.

Nous n’aurons pas eu la chance de renouveler la rencontre magique avec les tortues sortant de l’eau pour aller pondre dans le sable, n’y même l’opportunité de voir les traces caractéristiques qu’elles laissent dans le sable. Toutefois, par mesure préventive, nous avions pour consignes de pas dépasser la première ligne de végétation avec nos équipements. De même pour les antennes, des modèles à faibles emprises ont été privilégiés, rendues très visibles par des rubans colorés.

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Les forts coefficients de marée des derniers jours nous conduisent à planifier méticuleusement la phase de démontage en prenant en compte les difficultés pour l’annexe d’accoster à cause des vagues renforcés par la houle. Nous débutons le démontage et le rapatriement vers le bateau de tout le matériel qui n’est pas indispensable. Nous évacuons un premier groupe électrogène, puis un second le lendemain. Néanmoins, cinq stations sont maintenues en service le dernier jour, regroupées dans une seule tente. Côté antennes, nous ne conservons qu’une verticale 40 et 30m en plus des VDA. Les verticales 80 et 160m sont repliées.

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Lors de notre dernière soirée de trafic, nous nous relayons afin que chacun puisse en profiter une dernière fois. La barre des 100 000 contacts à été franchie depuis un moment déjà, mais la motivation n’est pas retombée pour autant. Nous mettons un terme à nos émissions à 21h00z ce 10 avril 2016 après 12 jours et 8 heures de trafic. Notre log affiche près de 105600 contacts enregistrés.
Dès le lever du soleil nous engageons un course contre la montre afin de pouvoir démonter et évacuer l’ensemble du matériel restant pendant la fenêtre de pleine mer du matin. En absence de vent, les conditions sont très bonnes. Le chargement se passe sans encombre d’autant plus que tout était prêt dès l’arrivée de la première rotation de l’annexe. A 9h, après avoir inspecté une dernière fois l’ensemble des zones utilisées pendant ces deux semaines, nous laissons l’emplacement dans son aspect original, sans la moindre trace de notre passage, exactement comme nous nous y étions engagé.
Dans la foulée, nous libérons également le camp de vie et convergeons avec nos dernières valises jusqu’au point de débarquement. Bloqués sur l’île en raison de la marée, nous profitons de ces ultimes instants à Juan de Nova pour prendre un repas en commun, confectionné avec le reste des aliments à notre disposition. Nous en profitons pour dresser un premier bilan de l’opération avec les chiffres dont nous disposons. La répartition des contacts selon les continents est conforme à nos prévision et reflètes les efforts réalisés tout au long de l’opération (Europe 60%, Asie 16%, Amérique du Nord 21%). A chaud, et de notre point de vue, nous avons l’impression d’avoir su répondre de la meilleure façon à l’attente mondiale autour de notre projet. En marge de l’expédition, nous avons fait de notre mieux pour mettre en avant ces territoires méconnus du grand public et mis en exergue le savoir-faire français dans l’organisation de missions complexes telles que celle-ci. Enfin et c’est sans doute le plus important, nous avons à nouveau démontré, la compatibilité des activités radioamateurs avec les mesures de protection mise en place.
A ce titre nous tenons vivement à remercier toutes les personnes qui se sont investies de près ou de loin dans cette entreprise et qui par leur travail, leurs conseils ou leur bienveillance, ont permis de mener à bien cette mission.

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L’approche imminente de l’annexe nous est annoncée via la radio marine. Après deux rotations, les derniers membres du groupe quittent l’île, non sans un pincement au coeur. Cette aventure est belle est bien derrière nous, bien que deux jours de navigation jusqu’à Mayotte et quelques opérations logistiques pour renvoyer le matériel en métropole nous attendent.

Nous ne pouvons terminer ce long récit sans remercier vivement l’ensemble des personnes qui nous ont soutenu et aidé. En premier lieu les entreprises Elecraft, SPE Expert, Spiderbeam, DX Engineering, KD9SV, Microham, Messi & Paolini, DX Avenue, GM0OBX Cables, SunSDR.eu, ExpertElectronics, Antlion Audio, F5JRC Print Shop

Sur tous les continents, les clubs et fondations ont su être réactifs malgré une année compliquée pour leurs finances en raison des nombreuses expéditions à la recherche de sponsors. Un immense merci à la Northern California DX Foundation, ainsi que l’International DX Association, German DX Foundation, Réseau des Emetteurs Français, Clipperton DX Club, Colvin Award, Southeastern DX Club, Chiltern DX Club, Twin City DX Association, Eastern Iowa DX Association, NIDXA, Danish DX Group, European DX Foundation, Mediterraneo DX Club, OHDXF, Carolina DX Assocation, Willamette Valley DX Club, Swiss DX Foundation, Lone Star DX Assocation, Northern California DX Club, UK Six Meter Group, ORCA, CQ Hamradio JA, Western Washington DX Club, F8ATS Stamp fund, ETDXA, LA DX Group, GM DX Group, FEDXP, WVDXA, eQSL, Ehime DX, Utah DX, Tokyo 610, TDXS, SEMDXA, Lynx DX, GSDXA, Shizuoka DX, Delta DXA, RemoteHamradio.com, Union Française des Télégraphistes, LIDXA, 599DX, NWIDXA, NOHDXA, ADXA, Nara DXA,Mile-Hi DXA, OKDXA, SEDCO, Passau DX, FWDXA, Mulan DX, GMDXA, KC5WXA, Spokane DXA, Madison DX, NADXC, SDXG, WNYDXA, GPDX, BARTG, DX Hogs, Most Wanted DX, Yokohama DXC, ARAN59, VADXCC, Six Italia.

Nous souhaitons souligner la mobilisation exceptionnelle et capitale de la communauté radioamateur au travers de toutes les personnes qui ont participé d’une manière ou d’une autres. Coup de chapeau à F6AGM, K1QX, F4ERS, F6BKI, F5VHJ, K6TU, JA4DND, F5JRC, ainsi qu’à nos pilotes F5UKW, JJ3PRT, W0MM, ON9CFG,  img_2484

Pour conclure, nous tenons à remercier chaleureusement le personnel des Terres Australes et Antarctiques Françaises et en premier lieu Madame Cécile Pozzo di Borgo, préfet, administrateur supérieur des TAAF pour nous avoir autorisé à  réaliser cette mission et soutenu pendant toute la préparation.

A l’heure où nous terminons ce récit, Juan de Nova n’est plus qu’un mince trait de crayon sur l’horizon. Nous partons, la tête pleine de souvenirs, les cartes mémoires bourrées de photos et de vidéos et le cahier de trafic débordant de contacts. Nul doute que les actions de préservation diligentées par les TAAF permettront de protéger cette merveilleuse île, qu’un jour peut-être, nous aurons l’opportunité de visiter à nouveau.

Pour l’équipe FT4JA,
Seb F5UFX & Flo F5CWU

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